Rédacteur : Eric Allodi
Contrairement à l’industrie automobile ou aéronautique, le secteur du bâtiment pâtit encore d’un déficit de digitalisation et d’industrialisation des procédés. Malgré l’avènement du BIM, la gestion des chantiers reste complexe, ce qui impacte négativement et la marge et le calendrier de construction.
Ces risques sont encore accrus par la pression croissante de la population (ex : Extinction Rebellion) et de la réglementation, alors même que le BTP est responsable de 70% des déchets produits en France et d’environ 30% des émissions annuelles nationales (sans compter l’empreinte carbone des produits et matériaux utilisés).
A titre d’exemple, la Loi pour la Transition Energétique et la Croissance Verte de 2015 instaure que :
– Article 70 : dès 2020, les déchets du bâtiment et des travaux publics devront être valorisés sous forme de matière, et les quantités de déchets enfouis réduites de 50% en 2025,
– Article 173 : dès 2016, des obligations d’information pour les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques liés au climat, et plus largement l’intégration de paramètres environnementaux et sociaux dans leur politique d’investissement. Ce qui implique que les institutions financières limitent, de plus en plus, leurs investissements dans les activités à risque climatique élevé et privilégient le financement des secteurs d’activités verts ou en transition vers une économie décarbonée.
Enfin, le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, adopté en première lecture par l’assemblée nationale en décembre 2019, met l’accent sur l’éco-conception des produits en instaurant un système de bonus/malus et incite au réemploi, à la réutilisation et au recyclage des produits usagés.
Pour satisfaire ces contraintes, il devient désormais indispensable de suivre des indicateurs, basés sur des données opérationnelles et non sur des approximations statistiques, qui permettront de mesurer les impacts déchets et carbone des bâtiments, et d’optimiser leurs empreintes dans le temps. C’est le concept de Signature Circulaire des bâtiments qui est l’objet de cet article.
La signature circulaire permet de :
– Mesurer dynamiquement l’empreinte carbone des produits et matériaux du bâtiment, et répondre ainsi à l’objectif Scope 3 du bilan carbone,
– Pouvoir comparer des bâtiments entre eux,
– Suivre les progrès au niveau carbone et gestion circulaire des produits usagés au fur et à mesure des rénovations du bâtiment,
– Mesurer et optimiser le degré de non-toxicité du bâtiment, sur la base des produis qui le constituent,
– Mesurer et optimiser la valeur économique résiduelle des constituants du bâtiment à l’instant T ou sur 30 ans, selon qu’il soit construit ou rénové.
La signature circulaire est un outil marketing puissant pour le promoteur qui peut livrer un bâtiment avec ses data et démontrer son impact environnemental et santé. C’est également un outil précieux pour la foncière ou le bailleur qui peut contrôler le respect de son CCTP et suivre l’évolution de son parc immobilier. C’est enfin un outil indispensable pour les Directions Générales et leurs responsables DD/RSE qui doivent produire des rapports annuels “Sustainability” ou “Article 173”.
Le concept de Signature Circulaire
Dans un article précédent, j’ai expliqué comment il était possible de réduire l’empreinte carbone de nos bâtiments grâce à l’économie circulaire.
La réponse tenait en 3 mots : Cradle to Cradle, Data, Intelligence Artificielle. En résumé, pour réemployer ou upcycler les produits/matériaux usagés d’un bâtiment il faut le concevoir comme une banque de matériaux démontable, avec des produits sains et circulaires (certifiés Cradle to Cradle ou équivalents), dont les propriétés et les prochaines vies sont caractérisées dans des Passeports Circulaires (Data), et de combiner ces données pour produire des indicateurs de suivi circulaire et en déduire des écosystèmes régénérateurs grâce à des logiciels intelligents (Intelligence Artificielle).
J’aimerais maintenant aller plus loin et détailler la notion de Signature Circulaire. Dès lors que l’on dispose de passeports circulaires complets, de gisements dûment renseignés et de tables de monétarisation des ressources usagées, il est possible d’en déduire l’empreinte carbone, économique, circulaire et santé d’un bâtiment. C’est ce qu’on appelle la signature circulaire d’un bâtiment.
C’est un sujet éminemment complexe, et il aura fallu à la société Upcyclea (ex-EPEA France) plus de 10 ans de recherche et d’expériences appliquées aux bâtiments et aux territoires en matière d’économie circulaire pour produire le logiciel et les résultats qui vont révolutionner notre gestion des ressources et, par delà, notre impact écologique et social.
De quels indicateurs est composée une Signature Circulaire ?
La Signature Circulaire d’un bâtiment ou d’un territoire comprend 4 indicateurs :
1- L’empreinte carbone : c’est l’empreinte carbone de production des ressources d’un bâtiment/territoire, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la l’intégration finale du produit, en passant par toutes les étapes de fabrication intermédiaires,
2- Le degré de non-toxicité : c’est la proportion de produits d’un bâtiment/territoire qui ne contiennent pas de substances CMR (Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique), et dont les émissions de COV (Composés Organiques Volatiles) sont maitrisées pour une meilleure qualité de l’air intérieur,
3- Le taux de circularité : c’est la proportion de produits d’un bâtiment/territoire qui contiennent des matières recyclées et dont les prochaines vies sont définies,
4- La valeur économique résiduelle des ressources usagées d’un bâtiment : ce sont les économies ou les revenus potentiellement générés grâce à une gestion circulaire des ressources usagées du bâtiment.
Très peu d’organisations savent réellement calculer ces indicateurs. D’abord parce que les analyses de cycle de vie actuelles reposent sur des hypothèses génériques et partielles qui ne traduisent pas la réalité des émissions carbone d’un bâtiment tout au long de son existence (cf. ce cas d’un bâtiment bois qui n’atteint pas un niveau C1, pourtant atteint par un bâtiment comparable, construit en béton-brique). Ensuite, elles ne disposent pas des données nécessaires pour mener des calculs précis. Enfin, la rédaction des rapports annuels dits “Article 173” est souvent confiée à des sociétés spécialisées qui dupliquent les rapports d’une société à l’autre sans réelle appropriation par les organisations elles-mêmes (cf. l’excellente analyse 173 nuances de reporting de Novethic et la Caisse des Dépôts).
De fait, face à la complexité, c’est une approche statistique et opaque qui nourrit des rapports souvent éloignés de la réalité et qui ne nous aideront pas à faire face au réchauffement climatique.
Mais il est possible de réagir car, en fait, les données existent. Les fabricants sont capables de mesurer la signature circulaire de leurs produits, pour peu que les maîtres d’ouvrage ou les territoires l’exigent. Elle peuvent être collectées dans des passeports circulaires (cf. article) et vérifiées par des tiers pour pouvoir être partagées (voir ci-dessous).
Extrait de la librairie myUpcyclea de passeports circulaires et pictogrammes associés (produits Tarkett)
De nombreux fabricants, souvent partisans du Cradle to Cradle, remplissent désormais les passeports qui permettront aux acteurs du bâtiment de calculer dynamiquement et en toute transparence leurs propres signatures circulaires. Les paragraphes qui suivent expliquent comment.
1- L’empreinte carbone d’un gisement (bâtiment ou territoire)
L’empreinte carbone mesure les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Elle calcule l’empreinte carbone de production des produits constituant le(s) gisement(s) considéré(s), depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la l’intégration finale du produit, en passant par toutes les étapes de fabrication intermédiaires. Elle ne prend pas en compte les phases de transports, d’utilisation ou de fin de vie.
L’empreinte carbone est exprimée en tonnes totales eq. CO2 et en tonnes eq. CO2 par tonnes de produits :
Pour le calcul il est nécessaire de posséder des données fiables issues de la base Iniès ou renseignées par le fabricant directement dans le passeport circulaire du produit, comme dans l’extrait ci-dessous :
Extrait du passeport de la plaque de plâtre PREGYDRO de la société SINIAT
Ces informations sont consignées dans les passeports circulaires. Combinées au volume des produits associés à de tels passeports il devient possible de calculer le premier indicateur de la Signature Circulaire, globalement ou par catégories de gisements considérés, grâce au logiciel myUpcyclea :
Empreinte carbone générée par le logiciel myUpcyclea (chiffres fictifs)
2- Le degré de non-toxicité (bâtiment ou territoire)
Le degré de non-toxicité s’appuie sur le Cradle to Cradle Certified™ Standard, le label international de l’économie circulaire, et notamment sur le respect de la « banned list » des produits bannis par le C2C Product Innovation Institute, l’organisme public qui prononce la certification des produits en s’appuyant sur une dizaine de laboratoires d’évaluation (dont Upcyclea) et une douzaine d’experts internationaux en chimie des matériaux.
Le degré de non-toxicité distingue 4 catégories :
– Produits sains : Ces produits ne contiennent que des substances validées comme saines : en plus de vérifier la « banned list » du C2C (voir extrait ci-dessous), ils ne contiennent aucune substance CMR (Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique) et leurs émissions de COV (Composés Organiques Volatiles) sont maitrisées pour une meilleure qualité de l’air intérieur. Cela correspond par exemple à des produits ayant obtenu un niveau Or ou Platine dans la catégorie Material Health du C2C Certified™ Standard,
Extrait de la « banned list » Cradle to Cradle
– Produits à toxicité maitrisée et vérifiée : Le fabricant déclare que son produit ne contient aucune substance de la « banned list » C2C au-delà des seuils tolérés et cela a été vérifié par un organisme tiers indépendant,
– Produits à toxicité maitrisée : Le fabricant déclare que son produit ne contient aucune substance de la « banned list » C2C au-delà des seuils tolérés mais cette affirmation n’a pas été vérifiée par un tiers indépendant,
– Produits à toxicité avérée ou inconnue : Le fabricant n’a pas fourni suffisamment d’informations quant à la toxicité de son produit OU le fabricant a déclaré que son produit contient des substances de la banned list C2C au-delà des seuils tolérés.
Ces informations sont consignées dans les passeports circulaires. Combinées au volume des produits associés à de tels passeports il devient possible de calculer le second indicateur de la Signature Circulaire, globalement ou par catégories de gisements considérés, grâce au logiciel myUpcyclea :
Degré de non-toxicité généré par le logiciel myUpcyclea (chiffres fictifs)
3- Taux de circularité (bâtiment ou territoire)
L’indicateur de circularité est le résultat d’une opération prenant en compte à la fois les vies antérieures des matériaux constituant les gisements considérés et les prochains usages possibles pour ces gisements de produits usagés. Cet indicateur donne les informations suivantes :
– Le taux de gisements qui possèdent des prochains usages identifiés,
– Le taux de matériaux recyclés ou rapidement renouvelables intégrés aux produits,
– Le degré de démontabilité des produits et gisements,
– Le degré de fiabilité des informations disponibles dans les passeports circulaires.
Pour le calcul il est nécessaire de posséder des données fiables renseignées par le fabricant directement dans le passeport circulaire du produit, comme dans l’extrait ci-dessous :
Extrait du passeport de la dalle de plafond ULTIMA+ de la société ARMSTRONG
Ces informations sont consignées dans les passeports circulaires. Combinées au volume des produits associés à de tels passeports il devient possible de calculer le troisième indicateur de la Signature Circulaire, globalement ou par catégories de gisements considérés, grâce au logiciel myUpcyclea :
Taux de circularité généré par le logiciel myUpcyclea (chiffres fictifs)
4- Valeur économique résiduelle des constituants usagés du bâtiment
La valeur résiduelle financière permet d’évaluer quels revenus pourraient potentiellement être générés grâce à une gestion circulaire des ressources usagées du bâtiment. Elle prend en compte la valeur de la matière en fin de période d’usage, et intègre les surcoûts de dépose propre ainsi que les économies par rapport à une gestion classique de déchets.
Les calculs sont faits selon 3 scénarios :
– Déconstruction : La valeur résiduelle correspond à une valorisation immédiate de la totalité des constituants usagés du bâtiment, de la structure au mobilier,
– Rénovation : La valeur résiduelle correspond à une valorisation immédiate de la totalité des constituants usagés d’un bâtiment, hormis ceux de la structure,
–Rénovation sur 30 ans : La valeur résiduelle correspond à une valorisation de la totalité des constituants usagés d’un bâtiment sur 30 ans, en tenant compte de la fréquence de renouvellement des différents corps d’état durant cette période.
Exemple d’hypothèses de calcul de valeurs résiduelles dans le logiciel myUpcyclea
Pour chacun des scénarios, deux valeurs résiduelles sont générées : une valeur résiduelle maximale des constituants usagés privilégiant la rentabilité économique c’est à dire traitant uniquement le pourcentage de constituants dont la valeur résiduelle est positive, et une valeur résiduelle minimale couvrant 100% des constituants usagés, y compris ceux dont la valeur résiduelle est négative car leurs coûts de traitement reviennent plus cher qu’une gestion classique de déchet.
Les valeurs résiduelles minimales et maximales des constituants du bâtiment sont cumulées et calculées en pourcentage par rapport au coût d’acquisition matière/produit :
De façon simplifiée, la valeur résiduelle d’un bâtiment est calculée en cumulant les potentiels de valorisation de ses constituants usagés (via le réemploi ou l’upcyclage), en intégrant les dépenses évitées et les coûts supplémentaires par rapport à une gestion de déchet classique, le tout pondéré par le degré de démontabilité et d’usure des constituants concernés :
Pour de tels calculs, la difficulté consiste à associer un constituant usagé (ex : une poutre en bois) avec la table de valorisation des produits que Upcyclea a constituée depuis des années. La solution consiste à s’appuyer sur des algorithmes IA de prédiction qui vont associer des passeports de produits usagés avec des “passeports génériques” dans lesquels on va trouver toutes les informations de composition, de valorisation (réemploi/upcyclea), de dépenses et de surcouts nécessaires.
L’exploitation de ces informations par les fonctions d’Intelligence Artificielle du logiciel myUpcyclea permet de calculer le quatrième indicateur de la Signature Circulaire, à savoir la valeur économique résiduelle des constituants du bâtiment, en pourcentage du coût d’acquisition matière/produit, en hypothèse haute et basse, pour chacun des 3 scénarios définis plus haut :
Valeur résiduelle du bâtiment générée par le logiciel myUpcyclea (chiffres fictifs)
Et maintenant…
La question du dérèglement climatique, de la raréfaction des ressources et de la santé nous concerne toutes et tous. L’urgence qui l’accompagne également et ce d’autant que, chaque année, environ 25 000 000 de m2 sont construits en France (hors logements).
Chaque mètre carré nous rapproche ou nous éloigne d’un futur plus désirable et plus durable, selon les systèmes constructifs que nous utilisons, les produits et les matériaux que nous choisissons, … et la gestion que nous en faisons dans le temps.
Mais tout comme la transition de l’analogique vers le digital a révolutionné le monde de l’industrie, la transition en cours vers des bâtiments sains et circulaires, est de nature à révolutionner le monde de la construction, et de répondre ainsi à nos préoccupations environnementales.
myUpcyclea a été créé pour faciliter cette transition. Cliquez ici pour découvrir ses fonctionnalités.